La lente progression des technologies sociales

Nous, dans notre job, on utilise des technologies sociales. En gros, ce sont des moyens pour permettre à des groupes d’obtenir des résultats, ensemble. Par contre, nous utilisons rarement le terme «technologies sociales». On trouve que le terme porte trop souvent une connotation négative. Ou encore qu’il est utilisé à toutes les sauces, qu’il est devenu un buzzword. Nous préférons parler de haute performance collaborative (on sait, c’est un buzzword ça aussi) pour désigner les outils, processus et méthodes qui permettent à des groupes, petits et grands, d’obtenir des résultats de manière efficace.

Nous sommes souvent totalement renversés par l’archaïsme des manières de mener des assemblées et des réunions. Et nous sommes d’autant plus fréquemment surpris de voir comment la plupart des leaders et des dirigeants utilisent des méthodes d’une inefficacité redoutable quand vient le temps de mener des exercices collectifs. Il serait aujourd’hui impensable de renoncer aux outils technologiques modernes que sont l’informatique, l’ingénierie ou l’aéronautique. Quand vient le temps de se réunir, que ce soit à quatre ou à mille, c’est plutôt le contraire qui est bien vu: on évite tout recours à des technologies «sociales» qui pourraient nous permettre d’être plus efficaces. C’est, à nos yeux, un immense scandale. Et on a été témoins de gaspillages de temps, de ressources et d’argent incroyables ces dernières années. Tout ça orchestré par des gens professionnels, sérieux et fort respectés. Mais ça c’est une autre histoire.

Notre plus récente surprise a été de voir que lors de la Conférence des nations unies sur les changements climatiques tenue à Paris la semaine dernière, le président de la conférence, Laurent Fabius, avait eu recours à une méthode de performance collaborative dans le dernier droit, afin de provoquer l’atteinte d’un consensus.

Quoi? Seulement dans le dernier droit? Il y a assurément eu un processus global pour orienter et canaliser les échanges, non? Il y a – on l’espère – probablement eu des facilitateurs expérimentés (pas juste des Ministres que l’on affublait de ce titre) pour aider à faire progresser les choses? Mais ce qui a émergé dans les médias, c’est la conversion de Laurent Fabius à l’indaba, méthode ancestrale sud-africaine pour l’identification de consensus, dans les derniers moments de la conférence. Et il n’est pas interdit de croire que le reste de la conférence s’est déroulé d’une manière sous-performante.

Voici les traces de l’utilisation de l’indaba au COP21 trouvées sur le Web.

D’abord, un texte sur le site Quartz, This simple negotiation tactic brought 195 countries to consensus, qui cite une dépêche du Guardian:

The trick to getting through an over-complicated negotiation comes from the Zulu and Xhosa people of southern Africa. It’s called an “indaba” (pronounced IN-DAR-BAH), and is used to simplify discussions between many parties.
An indaba is designed to allow every party to voice its opinion, but still arrive at a consensus quickly. It works because opinions and arguments can only be aired in a particular way:
Instead of repeating stated positions, each party is encouraged to speak personally and state their “red lines,” which are thresholds that they don’t want to cross. But while telling others their hard limits, they are also asked to provide solutions to find a common ground.

Une journaliste du média indonésien Rappler a pu assister à une Indaba et décrit son expérience dans #COP21: A peek inside ‘indaba’ meetings of Paris climate talks:

Negotiators attending were functioning on only 3 or 4 hours of sleep. The atmosphere was one of urgency. Fabius skipped the usual general remarks and went straight to grappling with the remaining sticky issues in the draft: ambition, differentiation, and climate finance.

He opened discussions on each topic. When one country negotiator wanted to speak, effectively to give their country’s position on the matter, they only had to prop up their country name plate.

[…]

But among the fascinating people there that night was Fabius himself. He seemed to exude an aura of gentle authority during the indaba. Though he was obviously tired, sometimes taking long to find the right words, he was generous in giving as many countries as possible the chance to speak.

[…]

Faced by roadblocks in the discussions, Fabius told countries most concerned with specific issues to go in a separate room and talk among themselves. He assigned “facilitators” to report back to the indaba after 30 to 45 minutes.

Enfin, l’amorce d’un article paru dans Le Monde, où l’on reconnait le ton si souvent réservé aux technologies sociales:

« Indaba ». En deuxième semaine de la 21e conférence des Nations unies sur le climat (COP21), ce mot étrange a surgi dans la communication de son président, Laurent Fabius. En salle de presse, des regards inquiets s’échangeaient : de quoi s’agissait-il ? Au jargon impénétrable et aux rites mystérieux de la diplomatie climatique s’ajoutait une nouvelle étrangeté.

On se bat chaque jour pour amener des méthodes performantes, actuelles et pertinentes à des niveaux d’influence et de prise de décision toujours plus élevés. Nous progressons constamment. Toujours plus précis dans la qualité des résultats que nous pouvons obtenir et, surtout, sur la durabilité des décisions qui peuvent être prises. Mais nous en sommes encore aux balbutiements d’une réelle culture de collaboration au sein des organisations et des gouvernements.

Nous avons espoir de réussir un jour à contribuer à faciliter des processus de haute performance pour la résolution de problèmes et la prise de décisions d’envergure mondiale. Et on va y arriver. Et ça sera pas mal plus évolué qu’un indaba en fin de parcours, même si il y aura un peu d’indaba sous le capot.